L’homme est un animal social disait Aristote. Par cette phrase très connue, le philosophe grec de l’antiquité voulait souligner le caractère éminemment “collectif” de l’homme, que ne se construit qu’au travers de la “cité”, autrui.
Ainsi, aussi loin que remontent les premières civilisations, l’art du discours a toujours pris une place centrale dans nos vies, de par nos relations sociales. Si certains philosophes ont poussé l’art du discours très loin comme Schopenhauer et son célèbre “L’Art D’avoir Toujours Raison”, il n’en reste pas moins que les stratagèmes rigides souffrent d’une mécanique usée qui est inefficace si l’interlocuteur les connaît. Plutôt que d’apprendre par cœur des façons de piéger celui qui est considéré comme un adversaire, à tort, regardons un peu plus près les rouages qui couvrent souvent le champ de la négociation afin de mieux les comprendre et tenter de les utiliser à contre-courant.
Convaincre c’est vaincre
Convaincre, qui plus est dans une négociation, est souvent considéré comme une lutte, une joute verbale où s’affronte deux intérêts. C’est, en apparence, le cas. Pourtant, il existe une autre sorte de dialogue, une quête qui se fait à deux, non sans affrontement, et qui prend pratiquement la même forme. Mais cette joute verbale, démocratisée dans l’antiquité, ne souffre pas de la rancœur du perdant ou de la vanité du vainqueur, et, partant de ce principe, l’affrontement est désamorcé au profit d’un raisonnement en binôme qui porte un nom : la dialectique.
Si ce mot paraît compliqué et a été revendiqué par plusieurs écoles, nous allons prendre ici le principe fondamental afin de l’exposer et de démontrer qu’une autre façon de penser la négociation est possible. C’est le prisme ici qui va changer, non la forme. Ainsi, un professionnel pourra toujours utiliser un protocole de vente qui lui est cher.
Redéfinir l’échange
Pour que la négociation existe, il est nécessaire que les protagonistes aient quelque chose à gagner. Que ce soit un bien matériel, un prix, ou un débat d’idées, si l’une des deux personnes n’a strictement rien à gagner, la rencontre n’aura jamais lieu.
Il faut donc avant tout garder à l’esprit que votre interlocuteur n’est pas en face de vous par hasard, il retire quelque chose de cet échange, et vous aussi. Que l’un emporte toute la mise et laisse l’autre pantois ne tient qu’aux acteurs. Et le principe de la dialectique philosophique, c’est justement d’apporter une confrontation saine dans le débat, pour dépasser un clivage idéel. En somme, plutôt que de camper sur vos positions ou d’être totalement soumis à l’idée de votre interlocuteur, il existe une troisième option, celle du dépassement pour trouver une solution viable qui convient aux deux partis voir dépasse leurs attentes respectives.
La dialectique comme support
Une fois cela compris, l’échange sera plus direct, mais surtout, à l’écoute de votre interlocuteur, vous aurez plus d’armes encore pour avancer vos arguments, dans l’optique de trouver ce dépassement du problème initial. Il ne faut pas se le cacher, si la finalité et le prisme sont différents, le cœur de la négociation reste une joute, un affrontement. Mais c’est bien cela la méthode dialectique, c’est le but qui change, pas forcément la forme.
Ainsi, pour amener ses arguments à l’oreille de votre interlocuteur, vous devez connaître aussi bien sa doctrine que la finalité dans laquelle il veut vous mener en débattant avec vous. Il s’agit alors de comprendre quels sont les arguments qu’il possède, de prévoir leur arrivée aussi, pour mieux pouvoir les contrer. Il faut imaginer une véritable lutte intellectuelle à l’aveugle, à la manière d’une partie endiablée de cartes. Tous ont des mains de poker différentes, avec des combinaisons plus ou moins fortes, et chacun autour de la table tente de deviner ce que l’autre pourra répondre. Avoir une longueur d’avance, dans le débat, le jeu, ou la négociation, c’est toujours provoquer l’émergence d’un choix que les autres n’auront pas.
Cette longueur ne peut être acquise que lorsque l’on comprend totalement les motivations et les intérêts de l’interlocuteur. Et cela, on le fait en l’écoutant. Loin de vouloir faire valoir ses arguments dès les premiers instants, il est donc préférable de laisser l’autre parler, puisque c’est un signe de domination dans les “négociations usuelles”. Plus ils dévoilent ses arguments, plus vous comprendrez son cheminement tout en le laissant gagner une confiance factice. La suite est logique, avec une vue d’ensemble sur la pensée exposée, vous pourrez adapter votre angle d’attaque avec précision tout en gardant à l’esprit l’objectif final, la troisième voie.
“Penser en dehors de la boîte”
En comprenant et acceptant la logique de celui qui croit encore être un adversaire alors qu’il est désormais un complice, votre raisonnement aura d’autant plus de poids. L’interlocuteur saisira alors que vous avez compris et respecté son développement et sera bien plus à même d’écouter vos arguments. D’autant plus s’ils mènent vers une solution intermédiaire qu’il n’avait pas envisagée, prisonnier du match qu’il s’est forcé de jouer contre vous. La déstabilisation sera donc totale, car vous ne jouez tout simplement pas avec les mêmes règles.
Face à un négociateur forcené, il ne s’agit pas de céder, mais bien de faire valoir ses arguments en mettant en valeur les siens qui sont valables selon vous. Au final, il y aura toujours une solution qui conviendra aux deux partis, même si le gain n’est pas aussi flagrant. L’émergence de cette troisième idée, celle qui dépasse l’affrontement des deux autres, doit rester l’objectif. Car, quand tout le monde gagne tout le temps lors de vos négociations, rappelez-vous que vous gagnez tout le temps aussi.